Soigner l’homme contemporain
L’idée de travailler avec les papiers de marabout est née lorsque, habitant dans le XVIIIe arrondissement de Paris, j’ai commencé à les collectionner. Nombreux sont celles et ceux qui auront moqué ces petites impressions bas de gamme à la grammaire parfois douteuse et vantant les mérites de sorciers venus d’Afrique. Tout aussi nombreux sont les étonnés qui découvrent, comme moi, le nombre colossal de prospectus distribués chaque jour et la permanence de leur mystérieuse clientèle. Il existe en effet des centaines de marabouts qui proposent leurs services à Paris, en banlieue, mais aussi dans les villes de région : Lyon, Marseille, Montpellier pour ne citer qu’elles.
Denis Rionnet possède sans aucun doute la plus extraordinaire collection de papiers de marabout. Lorsque je le rencontre, nous discutons des pouvoirs et formules magiques contenus dans ces flyers et de ceux qui proposent de résoudre « tout, tout vos problèmes ». Grâce à Denis, je perfectionne mes connaissances sur le « retour de l’être aimé », la guérison de maladies « connues ou inconnues » ou encore le redressement des corps (« maigrir ou grossir à volonté ») et des esprits (« addiction aux jeux, arrêt du tabac ou de l’alcool »).
Souvent associés à l’escroquerie ou à une superstition légère et sans implication, les services des marabouts et leurs supports de communication sont pourtant riches de sens. Ils informent sur les modèles sociaux dominants, les rapports de pouvoir et de domination, ainsi que sur les aspirations individuelles qui se tissent au creux du social et dont la société de consommation est le terreau. La vie en société impose des formes de comportement spécifiques qu’il convient d’adopter et dont les normes sont admises comme des « allants de soi ». L’ordre de cette vie sociale place l’individu dans un système de structures auxquelles il doit se soumettre, se conformer voire même en poursuivre lui-même l’élaboration. De cet ensemble de diktats, les marabouts ne font pas la critique, mais entendent vous aider à vous y conformer.
Dans La consultation, je m’intéresse au média lui-même, à sa structure (qui reprend immanquablement les mêmes éléments), à son contenu stéréotypé valorisant la vitalité et la performance sexuelle, à la syntaxe et aux symboles. Pendant les deux mois d’ouverture des ateliers, j’ai invité chaque participant à composer son flyer et à inventer un remède pour panser l’homme contemporain. « Si tu avais le pouvoir d’un marabout, quelle problématique spécifique au groupe des hommes déciderais-tu d’arranger ? » En utilisant un générateur créé pour l’occasion, le participant invente son propre papier de marabout composé à partir d’extraits réels auxquels il ajoute sa solution miracle en fin de partie centrale. « Vous arrêterez de considérez les autres hommes comme des prédateurs », « Arrêter de confondre le sexe et la domination », « J’enlève la pression familiale des épaules de garçon », « Ôte le syndrome de compétition » sont quelques propositions adressés aux hommes par d’autres hommes.
Parallèlement aux ateliers, j’ai produit treize suspensions intégrant des papiers de marabout récoltés dans le 93 et issus de la collection de Denis. Les flyers, agrandis en respectant les exacts proportions des originaux, sont contenus entre deux plaques de plexiglas gravées et encrées. Ces sculptures aériennes mettent en relief le travail de graphisme des marabouts et reprennent les codes de la publicité et les injonctions de visibilité d’un monde saturé d’images. Les variations des flyers sont avant tout cosmétiques et leur contenu répétitif constitue un héritage signifiant des multiples brassages esthétiques et culturels où se mêlent langages vernaculaires, contraintes techniques et viralité. Le mode de monstration est parcouru de références ésotériques : qu’il s’agisse des cadres gravés ou du nombre de pièces, 13, censé porter bonheur.
