J’aime considérer le métro comme un théâtre sous terrain. On y fait toutes sortes d’expériences (plus au moins heureuses si l’on est une femme, mais cela est un autre débat). Depuis plusieurs années, je me réjouis devant une image récurrente : l’ajustement de l’habit, des cheveux et de la posture lorsqu’un passager croise son reflet sur les portes à l’entrée d’un tunnel. Cette expérience qui peut paraître triviale et anecdotique m’invite pourtant à la réflexion. Comment puis-je reconnaître avec certitude cette attitude, chez chacun différente, alors même que j’observe un ou une inconnue ? Je distingue cet instant furtif même lorsqu’il n’y a pas de « tic de miroir ». Parfois très prononcés, les ajustements peuvent aussi être d’une discrétion raffinée. Quoi qu’il en soit, je le remarque. Je le remarque, mais je peux difficilement le décrire. Ce changement d’état ne se dit pas, ne se produit pas sur commande. Il se voit. C’est ce changement d’état subtil, furtif ou frontal et puissant – toujours distinctif, que Miroir-miroir propose de dévoiler.
Le participant prend place face à une structure métallique vitrée contenant une caméra. Il est assis et ne se voit pas. Je lance l’enregistrement en lui demandant de regarder face à lui, immobile. Après environ une minute, je lui propose parfois de fermer les yeux ; d’autres fois, je me contente de mener l’expérience sans rupture. Après quelques instants, je recouvre d’un voile noir les trois faces restantes du dispositif. Le verre à travers lequel je filme devient alors réfléchissant et le participant se trouve face à son reflet. Sans que rien ne change à l’image, la caméra enregistre le passage du « naturel » à la découverte de soi. Lorsque la caméra s’éteint, la discussion prend alors souvent des allures intimes. Je profite de circonstance pour proposer une dernière expérience.
« Comment serais-tu si tu étais une femme ? » … sur cette question qui les a souvent laissés pantois, je quitte la pièce sans plus de cérémonie. Ils ont entre les mains le téléphone avec lequel je leur propose de s’enregistrer en répondant à ma question.
De retour dans le couloir, je pense que le masculin et le féminin sont des concepts entrelacés qui se définissent perpétuellement l’un l’autre. J’imagine que se décrire « en femme » permet de se livrer avec la liberté sécurisante qu’offre l’espace de la fiction. Je n’écoute l’enregistrement que le lendemain. C’est un plaisir immense de découvrir la manière avec laquelle mes invités se sont pris au jeu du saut hors de soi et le soin avec lequel ils composent les images sonores de ces moi-femmes. Dans cet univers fantasmé où les hommes sont des femmes, la taille moyenne est d’1m72. Les femmes sont fines mais pèsent 80 kilos, elles sont indépendantes et féministes, belles « mais pas trop ». Fantasmée, objectivée, souvent douloureusement « mieux que nature », ces femmes racontées disent les coûts de la domination masculine. C’est sans doute dans cet atelier que se situe l’illustration la plus tangible du titre Réponses bavardes.