Depuis les temps premiers de l’histoire de la photographie et des images technologiques, une multitude d’expériences ont été menées pour figurer l’intelligence du corps en action. La commande « Performance », initiée par le Centre national des arts plastiques, s’inscrit dans le cadre des Olympiades Culturelles de Paris 2024. Elle met à l’honneur des projets qui abordent le sport comme jeu et lieu de relation, de négociation et de dialogue entre les êtres. Dans ce contexte Twerk Nation dresse le portrait d’une discipline : le twerk, de son écosystème et de ses codes.
« D’abord il y a ces corps qui s’épanouissent dans des paysages rocailleux. Leurs yeux fixent assurément l’objectif, tant dis que leurs membres se déploient. Toutes et tous font partie de La Famille Maraboutage, un collectif artistique marseillais qui milite pour une fête plus inclusive. Si les photographies ont été prises dans le Sud-Est de la France comme à la carrière de Sarragan aux Baux-de-Provence, l’action pourrait tout autant se situer dans un ailleurs cosmique. Lila Neutre décentralise ces corps noirs que l’on contraint sans cesse aux mêmes décors stéréotypés. Devant son objectif iels deviennent des créatures lunaires ou peut-être encore des figures résistantes de communautés afro-futuristes.
C’est ensuite à Madrid, aux championnats du monde de Twerk, que Lila Neutre à poursuivit son projet. Là-bas, c’est l’importance des dispositifs de mise en scène de soi qui l’interpellent. Ses photographies sont aussi révélatrices d’une tendance : à mesure que la discipline s’institutionnalise, de plus en plus de femmes blanches la pratique, au détriment de la présence des femmes noires pourtant à l’origine de celle-ci. Ses dernières photographies ont finalement été prises dans la pénombre des salles de La Waka Waka Dance Academy de Lille. On y voit des shorties à paillettes, des cheveux tressés et des rideaux de velours. Les plans sont plus serrés, parfois presque abstraits mais aussi plus sensuels.
Pour tordre les pensées réductrices qui persisteraient à l’encontre du Twerk, Lila Neutre convoque finalement les mots. Car si la discipline est encore sujette à de clichés sexistes et racistes, elle est à l’origine émancipatrice pour les femmes noires. Comme un pied de nez à cette vision erronée qu’on porte sur celle-ci, l’artiste reprend des paroles de chansons et les détourne à la manière des pancartes que brandissaient les suffragettes. Elle en fait des slogans féministes. Enfin, la photographe se met elle-même en scène et compose un glossaire en pastichant les concepts qui alimentent la discipline.
Lila Neutre dresse des états des lieux et nous invite à nous saisir de toute cette matière à penser. Sa méthodologie est celle du stroboscope. Elle réunit des faisceaux puis leur applique un filtre. Sous un jour nouveau, les stéréotypes peinent à se maintenir. Pourvu qu’ainsi, ils finissent même par se tarir. »
Extrait du texte « Éclats dansés : politique du déhanché » de Camille Bardin publié dans Performance aux éditions Poursuites